La Filature Fonty

Le 7 juin dernier, Benoit de Larouzière nous accueillait avec toute son équipe pour nous ouvrir les portes de cette entreprise centenaire, l’une des dernières manufactures encore en activité en France, dans laquelle « laine de mouton » rime avec « passion ». Cette filature, j’en avais déjà partiellement découvert les merveilles alors que je me rendais aux Journées de la laine à Felletin, unévénement incontournable pour tous les artisans et passionnés de la laine et durant lequel la manufacture ouvre ses portes à près de 2000 visiteurs. C’était il y a 2 ans, je finalisais mon cycle de formation de styliste maille chez Lainamac et j’avais alors formulé le vœu de travailler un jour avec cette entreprise chargée d’histoire. C’est chose faite et c’est avec un immense bonheur que je vous invite aujourd’hui à suivre tour à tour Benoît, Alain, Christine, Aline et toutes celles et tous ceux qui œuvrent au sein de cette filature aux allures de boite à trésors, pour que la qualité prime sur la quantité, que la laine française et locale retrouve sa place et sa grandeur. Prêt(e) ?

Filature Fonty : laine naturelle et savoir-faire unique

Avant même de passer les portes de la filature, on est déjà sous le charme. Le vieux bâtiment et ses lettres dorées au-dessus de la porte d’entrée, en pleine nature, le bruit de l’eau et des oiseaux en prime… on pourrait croire que depuis sa création en 1881, rien n’a vraiment changé. Nous sommes en Creuse, au bord du Cher, dans l’une des dernières filatures et manufacturesencore en activité qui, malgré des périodes difficiles, est restée debout, en résistance, et prouve aujourd’hui qu’il est possible d’imaginer une industrie textile à taille humaine capable d’allier savoir-faire, qualité et succès. Comme nous l’explique Benoît de Larouzière, qui a troqué son activité dans l’industrie aéronautique pour les couleurs et les pelotes de la filature, nous avouant en être tombé amoureux, un jour d’hiver de 2017, année de sa reprise: « cette entreprise a beaucoup souffert au moment de la crise du textile dans les années 1980. Paradoxalement elle n’était pas la mieux armée pour résister mais elle est encore vivante. Et bien décidée à garder cet esprit de manufacture. Ce qui signifie que nous faisons tout à l’envers ! Pour gagner de l’argent dans le textile, il faut faire des grandes séries, nous, on ne fait que des micros séries en tout petits lots. On est à contre-courant de tout le monde, à mi-chemin entre l’industrie et l’artisanat. Ce qui nous oblige à faire du stock alors que la doxa impose de ne pas en faire. Et puis surtout, on mobilise beaucoup de moyens dans la maintenance de nos machines très anciennes qui tombent en panne très régulièrement. On n’achètera pas de machines modernes, c’est une décision stratégique. On veut au contraire renouveler notre parc avec des machines d’occasion que nous essayons de trouver avant qu’elles ne partent à la casse ». L’envie n’est pas à l’électronique et au numérique et nous, ça nous ravit ! 

De la balle de laine à la pelote : l’alliance de l’humain et de la mécanique

Il est en effet bien difficile d’imaginer tout le process, de Denis le mouton que l’on rencontre sur le parking de la filature jusqu’à la pelote que l’on tient entre nos mains. C’est seulement après avoir déambulé entre les machines, observé tous ces gestes précis, discuté avec tous ceux qui font la richesse de cette entreprise et assurent la pérennité de son savoir-faire, que l’on comprend la complexité de sa transformation, depuis la balle de laine naturelle, toute compactée, à la pelote et son fil au gonflé parfait. 4 étapes sont nécessaires :

- La balle de laine pressée est d’abord aérée et parfois mélangée (mohair et laine, mohair et soie…), puis brassée afin d’éliminer les fibres courtes et les déchets et passée à l’ensimage c’est-à-dire graissée pour pouvoir plus facilement la « coiffer ».
- Suivent les opérations dites de filage : le cardage pour obtenir une nappe de laine brute aux fibres alignées dans le même sens que l’on va découper en petits rubans : ce sont les pré-fils. ; le continu à filer pour donner au fil sa torsion, sa résistance ; l’assemblage de plusieurs de ces fils pour épaissir le fil et le sculpter jusqu’au bon résultat en terme d’épaisseur, de gonflant, de relief ; le dévidage qui consiste à transformer le fil en écheveau.
- Vient alors la teinture comprenant le lavage, le dégraissage, la pigmentation, l’ajout d’adjuvant, antimite etc., l’essorage, le séchage et le vaporisage.
- Puis l’étape de finition, c’est-à-dire la mise en cône et en pelote.

« Chaque machine est pilotée par des mains. Toutes les pelotes que vous tricotez sont passées dans les mains d’une des 3 Audrey de l’équipe, dans les mains de Laurence, d’Éric, d’Alain, sur les différentes machines. Voilà un gage de qualité au sens « manufacture » : ce sont bien des gens qui fabriquent ces produits. Le nœud que vous trouvez dans votre pelote, si c’est un vrai nœud c’est que ça a été fait par de vraies personnes. Donc même si le nœud peut être énervant quand on tricote, c’est le gage que l’on maintient un savoir-fairevivant », souligne Benoît.

Transformer la laine : une passion, une fierté

Etre au cœur de la manufacture est une expérience assez exceptionnelle. C’est un saut dans le temps, des machines dignes des romans de ma jeunesse, des monstres aux pistons ardents, des rouleaux de couleurs qui tournoient, de la laine locale et naturelle en veux-tu en voilà. Et puis ce sont aussi et surtout des hommes et des femmes qui perpétuent la tradition d’un travail exigeant et ce qui frappe, c’est ce bonheur et cette fierté qui les animent. Comme pour Alain, opérateur en filature, entré en 1981 alors qu’il n’avait que 17 ans : « Mon papa était contremaitre de fabrication. Il m’a formé sur les machines avec M. Jacques Fonty, notre patron de l’époque, un sacré monsieur ! C’est une entreprise que j’ai toujours eu dans le cœur. Ici, tout le monde vient avec le sourire, avec gaieté. Et puis, on est des gens du coin. Ça compte. » Même discours lorsqu’on interroge Christine, préparatrice de commandes, chez Fonty depuis 1991 : « J’avais 25 ans quand je suis arrivée. Je suis passée par lapelotonneuse puis le bobinage, le dévidage… et en 2006, la préparation des colis et la vente au magasin tous les mercredis après-midi. Je suis très fière de travailler chez Fonty, de notre savoir-faire qu’on est heureux de faire connaître. J’envoie des colis dans le monde entier : les Pays Bas, la Grèce les Etats-Unis, la Corée du Sud, le Canada, le Royaume-Uni C’est une passion ! J’ai toujours aimé ce que je faisais. Et puis quand on a un patron comme Benoît, on a envie de se lever pour aller travailler ! »

Dans un monde où on vous explique que pour réussir, il faut en faire toujours plus, avec des marges toujours plus importantes au détriment de la qualité évidemment mais aussi, des hommes et des femmes, voir cette équipe, heureuse, riche de ce savoir-faire et de cette envie me conforte dans l’idée qu’il est possible de faire moins et mieux. Et lorsque Benoît se souvient de notre première rencontre : « A l’époque, Pauline m’avait dit « un jour je ferai ma marque de mailles et ce sera avec vous que je la ferai » et effectivement on a la joie et l’honneur de travailler aujourd’hui avec LaGrandeBlonde. pour fabriquer une partie de ses mailles », j’ai envie de lui dire ainsi qu’à toute l’équipe Fonty que c’est moi qui suis extrêmement fière et heureuse.

Un grand merci.

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